UNE HISTOIRE DE MARQUE ROUGE

12/06/2023
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Jamais une couleur n'avait autant déchaîné les passions dans l'industrie de la mode. 

Inspiré par Andy Warhol et le pop art, en 1993, Christian Louboutin a eu l’idée de ses fameuses semelles lors de la création du modèle d’escarpin « Pensée », et a emprunté le vernis à ongles de son assistante pour les laquer.

La maison Louboutin s’est retrouvée concurrencée notamment par Zara, Van Haren et Yves Saint Laurent quant à des modèles de chaussures aux semelles rouges. 

Le coeur de ces litiges est une couleur bien précise : la nuance rouge avec le pantone n. 18. 1663TP sous la semelle d’une chaussure.

Certains signes distinctifs ont marqué les consciences. Aujourd’hui, qui ne remarque pas la fameuse semelle rouge de Louboutin ? Au-delà de la protection de la marque elle-même, c’est aussi la protection de l’œuvre et de l’innovation artistique qu’elle représente qui est mise en avant. Plus que la marque, c’est aussi l’artiste qui se doit d’être protégé. En effet, bien souvent le créateur n’est que peu cité dans ces affaires, en tout cas moins que pour d’autres milieux artistiques comme la peinture ou la musique. 

La protection des marques, de la création, et du savoir faire sont des enjeux cruciaux pour les entreprises, et la bataille entre les concurrents fait rage. 

 

1ère étape : le refus de reconnaître la semelle rouge comme une marque à part entière.

 

Christiant Louboutin avait déposé une demande internationale de marque figurative auprès de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) ayant pour spécificité une semelle de chaussure de couleur rouge. 

Des actes de contrefaçon ont par la suite été reprochés à Zara qui commercialisait des chaussures à semelle rouge.

Saisie du litige, la Cour d’appel de Paris prononce la nullité de la marque en cause le 22 juin 2011 pour manque de précision et d’exactitude lors de l’analyse de la figure. En effet, la couleur rouge n’était pas définie grâce à une référence, telle que le code Pantone, internationalement reconnu, et semblait être « imposée par sa nature et sa fonction ». Rappelons à ce stade qu’une marque est un signe distinctif, permettant de distinguer des produits ou des services, qui ne peut être caractérisé par sa nature ou sa fonction. 

Le manque de distinctivité relevé par la Cour d’appel de Paris provient donc du fait que la marque voit sa forme être dictée par sa nature : la marque consistant en effet en une semelle de couleur rouge. De plus, cette couleur n’était pas identifiable au vu du manque de référence à un code internationalement reconnu exigée depuis un arrêté du 2 septembre 2008 lors du dépôt de ladite marque auprès de l’office international. C’est donc à la fois la forme et la couleur qui posent un problème en ce qu’aucune représentation graphique de ceux-ci n’existe et que le signe est dépourvu de tout caractère distinctif.

Le 30 mai 2012, la Cour de cassation saisie d’un pourvoi confirme la nullité de la marque pour défaut de distinctivité. Effectivement, selon les hauts magistrats, « ni la forme ni la couleur de la semelle litigieuse ne faisaient l’objet d’une représentation graphique lui permettant d’être représentée visuellement »(Cour de cassation, Chambre commerciale, 30 mai 2012 n° D 11-20.724).

Les juges rappellent néanmoins qu’une couleur unique peut constituer une marque à condition cependant d’être susceptible d’une représentation graphique et de présenter un caractère distinctif (depuis une réforme du droit des marques de 2019, l’article L.711-1 du code de la propriété intellectuelle n’exige plus d’exigence de représentation graphique pour qu’un signe soit déposé à titre de marque). Il peut également être relevé que la notoriété de la marque ne suffisait pas à lui donner raison dans cette affaire : l’usage de la semelle rouge s’attache « à la gamme de chaussures, non à la marque litigieuse » d’après la Haute juridiction.

 

2ème étape : reconnaissance de la semelle rouge comme une marque pour des chaussures d’une autre couleur.

 

En avril 2011, Louboutin poursuit son homologue français Yves Saint Laurent pour "concurrence déloyale" et "violation de marque commerciale" aux USA. La raison ? La commercialisation par YSL d’une paire d’escarpin monochrome rouge du bout du stilleto à la semelle, commercialisée dans les boutiques new-yorkaises.

Première décision de la justice américaine : une couleur ne pouvant être une marque déposée dans l'industrie de la mode, Yves Saint Laurent peut continuer à vendre les chaussures incriminées. Louboutin a fait appel.

En 2012, la justice américaine a finalement donné raison aux deux maisons de luxe : les semelles rouges pouvaient être une marque déposée "sauf si le reste est de la même couleur".

Ainsi Yves Saint Laurent a obtenu de pouvoir commercialiser des chaussures rouges à semelles rouges tandis que la semelle rouge reste l'emblême de Louboutin pour les autres couleurs de chaussures. "

 

3ème étape : reconnaissance de la semelle rouge à titre de marque au niveau Européen.

 

En 2012, la société néerlandaise Van Haren a commercialisé des chaussures arborant des semelles rouges. Louboutin ne le voit pas d’un bon œil et initie une action en contrefaçon auprès des tribunaux néerlandais faisant valoir une marque enregistrée au Benelux en 2013. Celle-ci combine les chaussures à talon haut et la semelle de couleur rouge.

Selon Van Haren, la combinaison enregistrée par Louboutin est contraire à la législation européenne sur les marques. Le tribunal de la Haye aux Pays-Bas s’est alors tourné vers la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) afin de l’interroger sur l’application de la réglementation européenne sur les marques et la question de savoir si une couleur pouvait être considéré comme une forme déposée à titre de marque. 

Le 12 juin 2018, la Cour de Justice de l’Union Européenne, interprétant la réglementation européenne en matière de marque, énonce que Le signe distinctif « consistant en une couleur appliquée sur la semelle d’une chaussure à talon haut » n’est pas « exclusivement constitué par la forme ». D'autant que, dans la description de sa marque, le chausseur français a stipulé la couleur précise, au moyen de son code d'identification « internationalement reconnu », précisent les juges.

Selon l'arrêt européen, Louboutin est donc le seul propriétaire de la marque de semelles rouges Pantone 18-1663TP appliquée à des talons hauts féminins.

Mais il est fort probable, après cette reconnaissance de la semelle rouge pour des escarpins comme une marque à part entière, et au regard de la très forte notoriété désormais de la maison Louboutin et de sa spécificité des semelles rouges, plus aucun concurrent ne pourrait se lancer dans l'élaboration d'un produit avec une telle semelle, peu importe le pantone rouge utilisé, et peu importe qu'il s'agisse d'escarpin ou de chaussures pour hommes, sans être poursuivi pour contrefaçon ou acte de concurrence déloyale.