EXHIBITION SEXUELLE ET LIBERTÉ D'EXPRESSION

07/11/2022
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Le 13 octobre dernier, la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) s'est prononcée sur la question des exhibitions sexuelles comme étant un moyen d'expression.

Les faits remontent au 20 décembre 2013 quand Eloïse Bouton, membre des “Femen”, pénètre dans l’église de la Madeleine à Paris et se poste devant l’autel où, poitrine dénudée, elle simule l'avortement de Jésus à l’aide de morceaux de foie de veau sanguinolents censés symboliser un fœtus. Une prestation qu’elle conclut en urinant devant le regard interdit de plusieurs fidèles. Sur sa poitrine est inscrit un message en référence au « manifeste des 343 salopes », en faveur de l’avortement.

Après une plainte déposée par le curée de la paroisse, la jeune femme a été poursuivie du chef d'exhibition sexuelle. Le tribunal correctionnel l’a condamnée à un mois d’emprisonnement avec sursis et à payer au représentant de la paroisse un montant de 2 000 euros au titre du préjudice moral.

La jeune femme a interjeté appel et la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement en tous points. 

Après rejet de son pourvoi devant la Cour de cassation, l’intéressée a saisi la Cour européenne des droits de l’homme, invoquant une atteinte à sa liberté d’expression sur le fondement de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CESDH) :

 

  1. « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations ».
  2. « L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ».

 

La CEDH relève tout d’abord que l’ingérence dans l’exercice, par la requérante, de son droit à la liberté d’expression peut être regardée comme suffisamment prévisible et, partant, « prévue par la loi » au sens de l’article 10 § 2 de la Convention. En effet, la requérante pouvait raisonnablement s’attendre à ce que son comportement entraîne des conséquences et qu’elle serait susceptible d’engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 222-32 du code pénal :

 

  • L'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Même en l'absence d'exposition d'une partie dénudée du corps, l'exhibition sexuelle est constituée si est imposée à la vue d'autrui, dans un lieu accessible aux regards du public, la commission explicite d'un acte sexuel, réel ou simulé.

 

En effet, en vertu de la jurisprudence établie au moment des faits litigieux, la nudité de la poitrine de la femme était de nature à caractériser l’élément matériel de l’infraction.

La Cour examine ensuite si les motifs retenus par les juridictions françaises étaient « pertinents et suffisants » pour justifier l’ingérence ainsi exercée dons son droit à la liberté d'expression. Elle rappelle tout d’abord qu’une peine de prison infligée dans le cadre d’un débat d’intérêt général n’est compatible avec la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention que dans des circonstances exceptionnelles, par exemple, la diffusion d’un discours de haine ou d’incitation à la violence. En l’espèce, l’action de la requérante à laquelle aucun comportement injurieux ou haineux n’a été reproché, avait pour seul objectif de contribuer au débat public sur les droits des femmes, et notamment le droit à l'avortement. Elle relève ensuite que la sanction pénale qui a été infligée à la requérante en répression du délit d’exhibition sexuelle n’avait pas pour objet de punir une atteinte à la liberté de religion mais la nudité de sa poitrine dans un lieu public. La Cour note que les juridictions françaises se sont bornées à examiner la question de la nudité de sa poitrine dans un lieu de culte, sans prendre en considération le sens donné à sa « performance » ni les explications fournies sur le sens donné à leur nudité par les militantes des “Femen”. 

Dans ces conditions, la Cour considère que les motifs retenus par les juridictions françaises ne suffisaient pas à considérer la peine infligée comme proportionnée aux buts légitimes poursuivis. Il y a donc eu violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme par la France qui est condamnée à verser des dommages-intérêt à la requérante. 

Cour européenne des droits de l'homme, 13 octobre 2022, Bouton c/ France