LE NOM PLUS FORT QUE LA MARQUE

08/09/2022
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Le nom patronymique est l’un des signes les plus fréquemment adoptés comme marque.

Il faut bien distinguer le nom patronymique comme attribut de la personne, qui obéit aux règles du droit civil et qui est incessible et insaisissable, du nom patronymique déposé comme marque et qui, de ce fait, est devenu un élément incorporel du fonds de commerce d’une entreprise. Le nom patronymique perd alors totalement son aspect personnel pour être soumis à toutes les règles du droit des marques : cessible, saisissable, etc…

Tout un chacun a la possibilité de déposer son nom à titre de marque, même lorsque ce nom est très répandu, et même lorsqu’il s’agit du nom de son mari ou de son épouse. Si l’époux vient à perdre l’usage de son nom marital par l’effet du divorce, en principe il conserve sur la marque un droit acquis puisqu’il s’agit d’un élément incorporel du fonds de commerce qui lui appartient.

Des difficultés vont surgir lorsque le même nom patronymique est possédé par plusieurs personnes qui exercent une activité commerciale dans le même secteur ou dans des secteurs voisins. Dans ce cas, l’homonyme ne pourra pas déposer son nom comme marque mais pourra seulement l’utiliser comme dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, et à condition que cet usage ne soit pas frauduleux. Bien entendu, le principe de spécialité de la marque doit jouer dans ces hypothèses : si le nom patronymique est utilisé dans un secteur différent il ne s’oppose pas à son usage par son titulaire.

Celui qui choisit comme dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, son nom patronymique, précisément dans un commerce où son concurrent utilise déjà le même nom à titre de marque et ce pour réunir autour de lui une clientèle, n’agit pas innocemment et se comporte en parasite pour profiter de son homonymie alors qu’il lui aurait été facile d’adopter un autre signe.

Une actualité récente nous rappelle que la renommée d’une marque, en l’espèce la marque Taittinger, ne saurait faire obstacle à l’usage de ce signe en tant que nom patronymique par un membre de la famille commercialisant des produits identiques sous sa propre marque.

Après avoir été licenciée de la maison familiale, Virginie Taittinger qui a effectué sa carrière au sein du Groupe Taittinger, société de renom dans le domaine du champagne, a déposé la marque française « Virginie T » afin de commercialiser son propre champagne : elle a créé sa société, réservé le nom de domaine « www. virginie-t.com », et s’est référée à son patronyme pour faire la promotion de ses produits.

La société Taittinger, propriétaire de la marque Taittinger, l’a poursuivi en justice pour atteinte à la marque renommée, concurrence déloyale et parasitisme mais la cour d’appel a rejeté ses demandes. La société a formé un pourvoi en cassation.

La chambre commerciale de la Haute juridiction relève que la cour d’appel a retenu que la renommée de la marque « Taittinger » pour désigner des « vins de provenance française à savoir Champagne » n'était pas contestée et a relevé que Virginie Taittinger, dans le cadre de la promotion de sa nouvelle activité professionnelle, avait mis en avant à la fois son nom patronymique, son origine familiale et son expérience passée au sein de la société familiale. Mais la cour de cassation ajoute que c'est à tort que la cour d'appel a écarté l'atteinte à la marque renommée sans tenir compte, dans son appréciation globale, de l'ensemble des facteurs pertinents. Cependant, la chambre commerciale retient que le nom Taittinger utilisé par Virginie Taittinger ne l’est qu’à titre de nom de famille et pour souligner, à travers le rappel de l’histoire familiale et de son parcours professionnel, l’expérience et le savoir-faire qu’elle a pu acquérir en matière de champagne. La responsabilité de Virginie Taittinger ne peut être retenue, celle-ci pouvait se prévaloir de justes motifs d’exploitation tels que l’absence de mauvaise foi et d’usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale, et la Cour de cassation rejette alors le pourvoi formé par la société Taittinger.

 

On peut le voir, si la marque de renommée jouit d’une important protection, presque absolue, elle pourra cependant se heurter à la primauté de la protection du patronyme sur la protection des marques.