PHOTOGRAPHIE ET DROITS D’AUTEUR

21/06/2022
Thumbnail [16x6]

Bien que la photographie ait été intronisée au Museum of Modern Art de New York en 1940, son caractère artistique fait toujours l'objet de controverses quatre-vingts ans plus tard.

La photographie n’est-elle qu’un simple reflet de la réalité lui ôtant tout caractère artistique ?

Cette interrogation se pose avec une particulière acuité devant les tribunaux lorsqu'il s'agit de revendiquer la protection des photographies par la propriété littéraire et artistique.

Les tribunaux ne peuvent pas présumer l'originalité des photographies, et ils doivent rechercher si et en quoi chacune des photographies dont la protection est sollicitée, résulte d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de leur auteur, seul de nature à leur conférer le caractère d'une œuvre originale, et ce peu importe le genre, le mérite ou la destination de l’œuvre. 

En effet, pour qu’une création soit qualifiée d’œuvre et ainsi être soumise à des droits d’auteur, il faut déterminer une création intellectuelle propre à son auteur, lorsque l’auteur a pu exprimer son esprit créateur de manière originale. L’originalité s’entend comme le reflet de la personnalité du créateur.

Dans un arrêt du 30 mars 2022, la Cour d’appel de Paris a notamment examiné l’originalité d’une photographie de portrait, pour savoir si une protection au titre du droit d’auteur pouvait être accordée. 

Dans cette espèce, le quotidien régional La Voix du Nord avait publié une photographie représentant une championne de boxe anglaise locale. Or, la commune d’Hénin-Beaumont a revendiqué être titulaire des droits sur la photographie prise par un homme employé par la Mairie en tant que photographe, et a reproché au quotidien d’avoir publié cette photographie sans son autorisation et en la retouchant, alors qu’elle l’avait elle-même publiée sur la page Facebook de la commune. 

La commune d’Hénin-Beaumont a assigné la société éditrice du journal en contrefaçon de droits d'auteur. En première instance, le tribunal a débouté la commune de ses demandes. Un appel a été interjeté. 

La Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement en ce qu’il a retenu que la commune bénéficiait d’une présomption de titularité des droits d’auteur sur la photographie visée. En effet, il apparaissait que l’auteur du cliché était bien employé régulièrement par la commune, qu’il a réalisé la photographie litigieuse dans l'exercice de ses fonctions et pour les besoins de la communication de la commune. De plus, celui-ci n'avait émis aucune revendication au sujet de la photographie litigieuse lorsque la commune l’a divulgué sur sa page Facebook.

Sur l’originalité de l’œuvre, la Cour a relevé que s'agissant d'une photographie de portrait, celle-ci devait se manifester par des choix libres et créatifs de l'auteur au stade de la phase préparatoire, lors de la prise de la photographie, ainsi que lors du tirage du cliché, démontrant qu'il a imprimé sa touche personnelle à l’œuvre photographique revendiquée.

Or, la Cour a relevé que le fait que la sportive représentée sur le cliché portait sa ceinture de championne de France de boxe, qu'elle était photographiée sur un ring dans des conditions ne révélant aucun choix spécifique de lumière ni aucune mise en scène, ne caractérisait pas des choix arbitraires du photographe laissant apparaître l’empreinte de sa personnalité. Le fait qu'elle esquissait un sourire, ce qui est tout à fait habituel en matière de portrait, ne constituait pas davantage un choix libre et créatif du photographe. Enfin la Cour a retenu que la circonstance que l’auteur du cliché ait gommé, au moment du tirage, un hématome de la boxeuse sur son arcade sourcilière droite ne démontrait pas plus une empreinte de la personnalité de l'auteur.

Pour la Cour d’appel de Paris, la photographie litigieuse n'était donc pas protégeable par le droit d'auteur.

Si la loi a érigé la création photographique au rang des œuvres de l'esprit (art. L.112-2 9° du code de la propriété intellectuelle), la jurisprudence en la matière demeure néanmoins contrastée pour retenir l’empreinte de la personnalité de l’auteur traduisant une originalité. Entre le créateur et le pur opérateur, toutes les hypothèses intermédiaires sont possibles. De plus, certains modes d'élaboration ou d'exploitation des photographies compliquent leur réception par le droit d'auteur. Ainsi, la technique numérique, les prises en rafales, ou l'exploitation en série induisent des pratiques et des appréciations nouvelles.

Le Professeur Philippe Gaudrat définit la création comme « l'art de capter une forme mentalement anticipée ». Ce n'est donc pas l'accumulation de choix techniques ou finalisés qui confère l'originalité à la photographie mais bien l'arbitraire créateur, c'est-à-dire des choix libres et personnels, non dictés par des contraintes extérieures. 

L’implication physique de l'auteur n'est pas suffisante : on doit y retrouver « sa patte ».
En matière de photographie, l'assiette de l'arbitraire créateur est particulièrement large. Dans un premier temps, le photographe peut maîtriser le choix du sujet. Il compose alors activement une fiction qu'il fixe ultérieurement. La « mise en image » est indirecte lorsque le sujet existe en tant que tel dans la nature ou que le photographe attend de trouver le moment opportun pour le fixer tel qu'il l'imagine. On peut qualifier cette approche de « réel interprété ». Mais la protection s'attache à la forme et non au fond. La seule « pertinence » du sujet s'apparente à une idée. Ce choix n'est, ni nécessaire, ni suffisant à révéler l'originalité. Le photographe peut encore apporter sa vision personnelle lors de la prise de vue, voire ultérieurement en sélectionnent le ou les clichés qui correspondent au résultat qu'il attendait. C'est à ce stade que l'on peut avancer certains choix comme l'éclairage ou la profondeur de champ dont la finalité n'est pas purement technique. En vertu de cette analyse, le caractère automatique de la prise de vue n'est pas un obstacle dirimant. En effet, le photographe a pu néanmoins anticiper l'élaboration de l'image en amont par le positionnement de l'appareil ou le moment du déclanchement ; ou en aval lors de la sélection des clichés. Il serait donc illégitime d'exclure par hypothèse le résultat de l'utilisation d'un photomaton dans la mesure où la mise en image et la mise en scène demeure possible bien que le cadrage reste fixe et le déclenchement de la prise de vue automatique.