UNE MARQUE SI PUISSANTE QU’ELLE S’APPAUVRIT

13/01/2022
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La puissance d’une marque s’apprécie selon le degré de connaissance des consommateurs, de sa renommée, ou encore de son attractivité. Mais paradoxalement, une marque peut prendre tellement d’importance, tellement de place, qu’elle peut perdre de sa valeur. C’est ce que l’on appelle la dégénérescence de marque. 

A titre d’exemple dans l’actualité, la candidate à l’élection présidentielle Valérie Pécresse a affirmé vouloir « ressortir le Kärcher de la cave » afin de, selon elle, nettoyer les quartiers. Propos qu’elle a réitéré sur le plateau de l’émission « On est en direct » sur France 2 ainsi que sur France Info, reprenant alors une sortie tout aussi médiatique de Nicolas Sarkozy alors lui-même candidat à l’élection présidentielle de 2007.

La dégénérescence de marque.

Il convient de rappeler que le terme « Kärcher » utilisé est une marque déposée à plusieurs reprises depuis des années par le groupe du même nom. 

La fonction essentielle de la marque est de garantir l’origine d’un produit ou d’un service, en permettant au consommateur de le distinguer, sans confusion possible, de celui qui a une autre provenance. C’est un gage, aussi bien pour le consommateur que pour l’entreprise, d’identification et d’individualisation d’un produit ou d’un service sur le marché.

Dans ce contexte politico-médiatique, au travers d’un communiqué, le groupe Kärcher demande aux personnalités politiques et aux médias de cesser tout usage de sa marque dans la sphère politique, considérant que cette utilisation porte atteinte à la valeur de la marque et à l’image de l’entreprise. Le groupe ajoute que la marque « Kärcher » ne peut et ne doit être utilisée que pour désigner les produits des sociétés Kärcher.

Il est fait reproche au monde politique et médiatique d’utiliser la marque « Kärcher » comme un terme générique, un nom commun, et ce en lieu et place des termes « nettoyeur haute pression ». 

Si cette interpellation peut paraître, de prime abord, exagérée, elle est au contraire fondamentale pour l’entreprise qui veut pouvoir protéger et conserver la puissance et la renommée de sa marque sans pour autant la voir « dégénérer » en un terme usuel. Le titulaire de la marque doit être vigilant quant à la préservation du caractère distinctif de sa marque au risque d’être sanctionné sur le fondement de la dégénérescence. 

En effet, selon l’article L.714-6 du code de la propriété intellectuelle, le titulaire d’une marque encourt la déchéance de ses droits sur cette marque si celle-ci est devenue, de son fait, la désignation usuelle du produit ou du service en cause, induisant en erreur sur la nature, la qualité ou la provenance dudit produit ou service.

En d’autres termes, si le titulaire d’une marque ne met pas tout en œuvre pour conserver la fonction de sa marque qui est de garantir l’identification et l’individualisation de ses produits ou services, il perd alors ses droits sur ladite marque. Si la marque devient un terme usuel et générique, alors son titulaire ne peut plus revendiquer de propriété dessus. On pourrait comparer cela à une œuvre qui tomberait dans le domaine public. 

Le titulaire de la marque doit donc non seulement défendre sa marque contre ses concurrents qui utiliseraient son signe pour présenter leurs propres produits, mais aussi mener des actions spécifiques en direction du public pour essayer de lutter contre le phénomène de glissement qui tend à associer sa marque non plus à son propre produit mais à une catégorie de produits présentant les mêmes caractéristiques identiques.

A titre d’exemples de marques qui sont devenues des termes génériques on peut citer « Caddie » pour les chariots de courses en supermarché, « Sopalin » pour de l’essuie-tout, « Frigidaire » pour un réfrigérateur, « Tupperware » pour des boites en plastiques ou encore « Bikini » pour un maillot de bain féminin. 

Les consommateurs que nous sommes utilisons naturellement ces termes dans le langage courant, pour désigner un produit en général, alors qu’il s’agit en réalité de marques. Mais ces marques sont devenues si puissantes, si connues du consommateur, avec une part de marché considérable, qu’elles entrent dans le langage courant, et perdent, paradoxalement, de la valeur commerciale.

Absence de contrefaçon.

Alors ce type d’usage générique d’une marque ne constitue pas une contrefaçon au sens juridique du terme. La mise en application du droit de la propriété intellectuelle et du droit des marques en particulier, implique que l’usage litigieux d’une marque soit fait dans la vie des affaires, dans le contexte d’une activité commerciale visant notamment à tirer un avantage économique, et soit susceptible de porter atteinte à l’une des fonctions de la marque telle que l’identification et l’individualisation de produits et/ou services. 

Ces deux conditions font manifestement défaut dans le cas politico-médiatique qui nous intéresse : l’usage de la marque « Kärcher » n’étant fait ni dans la vie des affaires, ni à titre de marque mais de slogan politique.

Pour autant, l’utilisation intempestive d’une marque déposée, et notamment dans un but politique, peut être attaquée sur le fondement de la faute civile de droit commun (article 1240 du code civil), à charge pour le titulaire de la marque de démontrer le triptyque : faute, dommage, lien de causalité. 

Ainsi, le groupe Kärcher se devait de répondre pour protéger la valeur économique de sa marque, et veiller à ce que le signe « Kärcher » continue d’identifier ses produits sans entrer pour autant dans le langage courant.