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LA LÉGITIME DÉFENSE EN DROIT FRANÇAIS

La légitime défense consiste à répondre par la force afin de se protéger contre une atteinte imminente aux personnes ou aux biens. En droit français, elle est une cause d’irresponsabilité pénale qui, lorsqu’elle est constituée, empêche la condamnation de la personne s’étant trouvée en état de légitime défense, même si l’infraction est en principe caractérisée.

I – La légitime défense en droit français

Cette notion juridique répond à des conditions strictes fixées par le législateur, comme l’indique l’article 122-5 du code pénal qui dispose que « n’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.

N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction ».

Ainsi, pour retenir la légitime défense, il faut que l’acte de défense soit une réponse à une agression réelle (A), qui doit être injustifiée (B), et l’acte de défense doit être immédiat (C), nécessaire (D) et proportionné (E).

A – L’agression subie doit être réelle :

Pour que la légitime défense vienne à s’appliquer il faut que le danger encouru par la victime soit certain, ou à tout le moins particulièrement vraisemblable ; l’appréciation se fait donc in concretopar les tribunaux et cours d’assises.Les juges doivent vérifier la réalité de la crainte de l’agression et s’assurer qu’il ne s’agit pas seulement d’un risque putatif. À cet égard, des signes objectifs de cette crainte doivent pouvoir être établis : gestes, paroles, port d’arme, coups portés etc…

A titre d’exemple, la Cour de cassation a pu retenir qu’un homme avait légitimement pu se sentir menacé, lorsque : « son véhicule étant encerclé par plusieurs membres de la famille (…) se comportant de façon agressive pour l’empêcher de partir (…), M. [D] ne pouvait s’éloigner en faisant marche arrière du fait de la présence d’un véhicule positionné derrière le sien, se trouvant contraint d’avancer, démarrant lentement et effleurant les genoux de M. (…) pour l’obliger à s’écarter, celui-ci décidant de rester immobile devant le véhicule et choisissant de basculer sur le capot » (Cour de cassation, chambre criminelle, 21 juin 2022, n°21-85.174).

À l’inverse, ne peut prétendre au bénéfice de la légitime défense, la personne accusée d’avoir volontairement commis des violences en ayant fait usage d’une bombe lacrymogène, « alors qu’assise dans son véhicule, elle a gazé à titre préventif son adversaire qui l’injuriait mais ne s’était livré à aucune violence et n’avait qu’esquissé un geste de la main en direction de sa poche, ce geste étant insuffisant pour caractériser un risque auquel il serait apporté une riposte proportionnée » (Cour d’appel de Paris, 26 octobre 1999).

B – L’agression subie doit être injustifiée :

L’agression dont fait l’objet la victime doit évidemment être dénuée de tout fondement juridique puisque la légitime défense n’autorise nullement à se défendre ou à défendre autrui contre un acte conforme au droit.

A titre d’exemple, il en est ainsi de l’intervention des forces de l’ordre lorsque celle-ci est justifiée dans le cadre de leurs fonctions (Cour de cassation, chambre criminelle, 9 février 1972)

C – L’acte de défense doit être immédiat :

Dans la mesure où il a pour objectif de mettre fin à l’exécution d’une infraction, l’acte de défense doit intervenir dans le temps de l’agression. Si cet acte intervient avant, il sera qualifié de putatif. S’il intervient a posteriori, les juges ne manqueront pas de le qualifier de vengeance. Il est donc primordial que l’acte de défense soit simultané à l’attaque.

A titre d’exemple, « l’agression n’est plus actuelle lorsqu’un propriétaire, après avoir ouvert sa porte et rencontré un cambrioleur qui tente de tirer sur lui avec une arme à feu enrayée puis s’enfuit, rentre chez lui, prend un fusil, ressort et fait feu sur le voleur » (Cour d’appel de Paris, 22 juin 1988).

Autre exemple ayant fait la une de l’actualité, l’affaire dite du « bijoutier de Nice » qui avait fait l’objet d’un braquage de sa boutique, n’avait pas pu bénéficier de la légitime défense considérant qu’après avoir été braqué et que le braqueur ait pris la fuite, il avait pris le temps d’aller chercher un fusil dans l’arrière-boutique, pour sortir de la boutique et tirer dans le dos d’un braqueur prenant la fuite sur un scooter. Le danger et l’agression n’étant plus immédiat, il s’agissait alors d’une vengeance. Un individu qui prend le temps d’organiser sa réponse à une agression n’est plus dans l’immédiateté de sa réponse.

D – L’acte de défense doit être nécessaire à la protection :

Pour bénéficier de la légitime défense, l’acte que l’on commet doit être « la seule solution ».

C’est notamment le cas d’une personne qui tue le conducteur d’un véhicule qui écrasait volontairement quelqu’un « dès lors qu’il n’existait aucun autre moyen de l’arrêter » (Cour de cassation, chambre criminelle, 24 février 2015, n°14-80.222).

Le législateur a différencié le niveau de nécessité en ce qui concerne les atteintes aux personnes vis-à-vis des atteintes aux biens. En effet, une simple nécessité est exigée pour agir dans le cadre de la légitime défense des personnes tandis qu’une stricte nécessité doit être caractérisée pour les atteintes aux biens.

E – L’acte de défense doit être proportionnel à l’attaque :

Enfin, l’acte de défense, pour être légitime, doit être proportionnel à l’agression ; sous contrôle des juges.

Etait notamment en état de légitime défense, la personne qui a tiré «  un premier coup de feu en l’air et a riposté par un deuxième coup de feu en direction des pieds des quatre agresseurs qui s’avançaient vers lui, armés de projectiles divers » dans la mesure où cette défense n’a pas été jugée disproportionnée à l’attaque (Cour de cassation, chambre criminelle, 28 novembre 1972 - bull. crim. n°362)

En outre, a été relaxé le professeur d’éducation physique qui a donné un léger coup à la jambe d’un élève après que ce dernier ait tenté de forcer le passage, l’ait insulté et lui ai jeté son cartable dans sa direction.

En revanche, les juges ont déjà pu estimer que n’était pas « une riposte proportionnée à des coups de poing, puis à une nouvelle tentative d’agression, le fait, pour un militaire de carrière à la stature physique imposante, de tirer deux balles dans la cuisse de son agresseur, alors que ce dernier agissait seul et n’était pas armé » (Cour de cassation, chambre criminelle, 26 juin 2012, n°11-86.809).

La proportionnalité de la riposte à une attaque aux personnes est évidemment appréciée différemment de la riposte à une atteinte aux biens, puisque les enjeux sont moins importants lorsque c’est d’un bien dont il est question. A cet égard, il sera noté que l’homicide volontaire est au surplus expressément exclu par l’article 122-5 du Code pénal, pour la défense des biens.

II – LA PRÉSOMPTION DE LÉGITIME DÉFENSE

En principe, il appartient à l’auteur de l’acte de riposte de démontrer qu’il a agit en légitime défense dans le cadre de l’agression subie.

Mais, l’article 122-6 du Code pénal prévoit notamment une présomption de légitime défense qui implique que celui qui a répondu à une agression est automatiquement présumé comme ayant été en état de légitime défense, à charge pour l’autre partie de démontrer qu’il ne s’agissait pas d’une légitime défense.

Ainsi, est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l'acte pour repousser, de nuit, l'entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité.

Dès lors, si vous ripostez à une intrusion, de nuit, dans votre domicile, vous serez considéré comme étant en légitime défense, sauf si l’inverse est démontrée par la victime de votre riposte.

III – LA LÉGITIME DÉFENSE DES POLICIERS

La légitime défense répond à des critères différents du droit commun lorsque sont en cause des policiers.

L’article L.435-1 du code de la sécurité intérieure dispose que :

« Dans l'exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent (…) faire usage de leurs armes en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée :

1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l'intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d'autrui ;

2° Lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu'ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées ;

3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s'arrêter, autrement que par l'usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui ;

4° Lorsqu'ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l'usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui ;

5° Dans le but exclusif d'empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d'un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d'être commis, lorsqu'ils ont des raisons réelles et objectives d'estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes.

La Cour de cassation a relaxé le fonctionnaire de police ayant tiré à deux reprises sur le véhicule d’un homme qui tentait de se soustraire à un contrôle de police dans la mesure où : « (…) le véhicule a effectivement heurté M. X..., comme cela ressort notamment des constatations médicales, et ce alors même que ce fonctionnaire avait fait un écart pour l’éviter, et qu’il résulte de ces circonstances l’existence d’une agression actuelle, réelle et injustifiée à son égard, au moment où M. J... a décidé de faire usage de son arme à deux reprises dans le but d’arrêter la progression du véhicule qui se dirigeait vers son collègue, (…) les deux tirs sont intervenus dans un même trait de temps, le second atteignant grièvement M. W... sous l’omoplate droite et le projectile effectuant un trajet de la gauche vers la droite selon les expertises médicales, ce qui est incompatible avec un tir qui aurait eu lieu par derrière. En l’état de ces motifs, dont il résulte que le fonctionnaire de police a agi dans l’absolue nécessité de protéger son collègue et n’a pas disposé du temps utile pour effectuer des sommations, la légitime défense d’autrui étant ainsi caractérisée, la chambre de l’instruction (…) a justifié sa décision » (Cour de cassation, chambre criminelle, 16 février 2021, 20-86.552).